Les débuts de l'informatique sont souvent méconnu, nous allonrs tâcher dans ce dossier d'en éclaircir certains points, en commençant par la création de l'ENIAC, et en finissant par l'arrivée du transistor.

En 1946 sort l'ENIAC, considéré pour beaucoup comme le premier ordinateur de l'histoire. Si cette affirmation n'est pas très exacte - des chercheurs allemands avaient déjà lancé un calculateur de ce type en 1937 - il n'en reste pas moins que c'est le premier ordinateur américain.
Son inventeur se nomme John Vicent Atanasoff, un professeur de mathématiques de l'Iowa qui avait monté en 1939, parallèlement à son travail, un petit laboratoire où il effectuait ses recherches à l'aide de son unique collaborateur, un étudiant du nom de Clifford Berry. Les recherches portent bien entendu sur ce qui deviendra l'ENIAC, Atanasoff désirant créer une machine à calculer capable de résoudre des équations complexes utilisées en physique. L'idée d'utiliser des tubes à vide fut prise, et ce ne sont pas moins de trois cent tubes à vides qui composeront sa machine. Ces derniers servaient aux opérations digitales. Il en fallait d'autres, mais le manque de crédits poussera notre chercheur à modifier certains des tubes existants afin de créer une mémoire régénératrice. Les tubes pouvant être allumés ou éteints, la machine fonctionnait à base de 0 et de 1, sur une base binaire donc. Mais peu de gens croient en ce projet, si bien que Atanasoff interrompera ses travaux en 1942, fermant son petit laboratoire.

C'est en fait la guerre qui accélèrera les choses. En effet, des informations de tous types et de toutes sortes arrivaient dans les quartiers généraux, et les responsables devaient faire face à cet afflux d'informations - parfois codées - qui requieraient énormément de personnes. Le gouvernement américain, en partenariat avec les départements de recherche de la Moore School of Engineering de Pennsylvanie, décident de développer un calculateur qui leur permettrait de gagner un temps précieux.
En Août 1942, deux chercheurs de la Moore School, le physicien John Mauchly et l'ingénieur électricien Prosper Eckert, apportent la solution à tous les problèmes posés par la création d'une telle machine. Mais ces informations ne sont en fait que des copies des recherches effectuées par Atanasoff, ce dernier n'ayant déposé aucun brevet ni autre pour protéger ses inventions. Tout commence donc par une imposture. L'argent les les connaissances dont disposaient les deux chercheurs - contrairement à Atanasoff qui ne possédait ni l'un ni l'autre - leur permet de récolter quatre cent milles dollars en provenance de l'armée américaine afin de mettre en place leur projet. Mais ils durent faire face à de nombreux et énormes problèmes, car aucun des deux ne possédait la maîtrise d'un tel engin. Atanasoff avait réussi à créer une machine énorme, rapide, mais extrêmement compliquée, et nos deux ingénieurs n'ont fait que tâcher de maîtriser les 19 000 valves et tubes électroniques présents dans la machine ! On peut noter entre autre les problèmes d'électricité : celle d'une petite centrale suffisait à peine ; et que dire de la chaleur qui s'en dégageait ! Les problèmes de refroidissement étaient donc très importants eux aussi.
Mais les problèmes furent résolus et l'ENIAC - Electronic Numerical Integrator and Computer - fut officiellement mis en service en février 1946. Son développement aura duré trente mois, les équipes de développement se relayant sans cesse vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il pesait près de trente tonnes, utilisait un système décimal plutôt que binaire. Le défi était relevé : en trente secondes, il pouvait calculer une trajectoire qui aurait pris une bonne vingtaine d'heures à un cerveau humain. Sa consommation était telle que lorsqu'il était en service le courrant électrique baissait dans la ville de Philadelphie où il était installé.
Mais la machine avait bien entendu des problèmes, étant la première version, il ne pouvait en être autrement. La machine était soi-disant programmable, mais pour passer d'un programme à un autre, il fallait pratiquement recâbler toute une partie du système. De même les tubes étaient montés en série : un qui claquait, c'était l'ensemble de la machine qui tombait en panne, et pas évident de trouver le fautif dans les milliers qui composait l'armature ! Mais tout cela était peu à peu corrigé, et au niveau de la programmation, les ingénieurs se rendirent compte que cela était un langage à part entière, si bien qu'ils commencèrent à chercher comment écrire un langage plus facilement compréhensible par l'homme. Les langagues informatiques étaient nés.

Tout commence par la rencontre fortuite de Herman Goldstine, un des ingénieurs travaillant sur le projet ENIAC, et John Von Neumann, un mathématicien. Les deux hommes attendaient patiemment le train, et discutèrent de leurs projets respectifs pour tuer le temps. Von Neumann parlait des problèmes de temps de calcul qui ralentissaient considérablement ses recherches sur la bombe à hydrogène, qui aboutiront à la bombe atomique, lorsque Goldstine lui parla de l'ENIAC, projet justement créé afin d'augmenter la rapidité à résoudre des équations et effectuer des calculs. Von Neumann se tient alors par la suite régulièrement au courrant de l'avancement du projet, et apporta même des notions qui feront date dans l'informatique, même encore de nos jours. En effet, l'ENIAC était programmable, mais au prix de nombreux efforts reposant sur des épaules humaines. Le mathématicien renommé eu l'idée d'implémenter ces programmes directement dans la mémoire de l'ordinateur, qui pourrait ainsi changer de programme seul, sans aide extérieure. Le progrès était énorme : outre une rapidité accrue dans le temps pour passer d'un programme à un autre, il était désormais possible d'influencer un programme par un autre programme... Les limites pouvaient donc sans cesse être repoussées !

Mais la fin de la guerre marquât le glas de cette époque de création effrénée pour les scientifiques - au grand bonheur de la population. Les lois redevirent habituelles, et c'était désormais le marché, et donc le profit, qui régnait en maître, si bien que les hommes de science eurent beaucoup plus de mal à trouver des crédits. Les responsables commerciaux de grandes entreprises calculèrent que sept ordinateurs installés un peu partout dans le monde suffiraient à couvrir la demande totale d'informatisation. D'un autre côté, le futur fondateur d'Intel affirmait qu'il n'y avait pas de place pour plus de quatre ordinateurs dans le monde. C'est ce que l'on peut appeler un manque de clairvoyance, mais il en fut ainsi.
Les équipes de recherche explosèrent, et chacun suivi sa propre piste : Von Neumann et Goldstine rejoignirent le centre d'études avancées de l'université de Princeton pour continuer leurs recherches, tandis que Mauchly et Eckert se lancèrent dans une course folle aux capitaux afin de vendre leur savoir, acquis de façon frauduleuse. Mais la morale est là, et il faut avouer qu'ils se sont lamentablement plantés, en fabriquant un ordinateur qui ne sera vendu qu'en un seul exemplaire, à la firme d'aviation Nothrop. Dépités, les deux hommes décident de relancer une nouvelle entreprise, portant leurs noms respectifs, la Eckert Mauchly Computer Company était née... pour s'écraser peu de temps après. La boîte fut rachetée in extremis par James Rand, du groupe Remington Rand, qui fabriquait des rasoirs électriques et autres appareils ménagers, une boîte dont le grand rival n'était autre que IBM... Décidément ils avaient mal choisi leur camp.

IBM - Internationnal Business Machines sortait très enrichie de la seconde guerre mondiale, cette dernière leur ayant permis d'engranger de nombreux bénéfices, aussi bien sur le dos des alliés que sur celui des allemands (voir le dossier IBM et l'Holocauste), passant ainsi d'un chiffre d'affaire de 34,8 millions de dollars en 1939 à 141,7 millions en 1945, il n’y a pas à dire, pour certains, la guerre a vraiment eu du bon...
Thomas Watson, un commercial de génie, qui quarante ans plus tôt réalisait des commissions de 1 225 dollars par semaine là où ses collègues en faisaient laborieusement de 200 dollars, possédait brevets, inventions, ingénieurs idées et fonds en tout genre pour prendre un avantage décisif dans n'importe quelle partie du marché. Son marché de prédilection, outre les trieuses qui servirent aux allemands à recenser les juifs, était celui des calculatrices, mécaniques cette fois. Mais le marché des ordinateurs était prometteur, et Watson, en grand visionnaire, l'avait bien vu. Ne connaissant rien du projet ENIAC - ce dernier étant développé par des militaires, il était par là même top secret - Watson débloqua un million de dollars pour financer le projet de Howard Aiken, un ingénieur de Harvard qui lui proposait la fabrication d'un ordinateur.
Tandis que Watson avait réussi à convaincre la Marine Nationnale d'opter pour ce futur ordinateur, Aiken élabora sa machine, utilisant, plutôt que les tubes à vide de Atanasoff qu'il jugeait rapides mais trop peu précis, des relais électro-magnétiques. L'étude s'est faite à Harvard même, mais le montage du système en lui-même fut effectué à Endicott, le quartier général d'IBM. L'appareil fut prêt en 1943, et migra à Harvard pour y connaître son inauguration. Durant cette dernière, Aiken, dans son discours, s'attribua tous les mérites, et Watson le prit tellement mal qu'il annonça publiquement qu'il coupait tous les fond pour ce projet, que cette machine était une machine IBM et non un produit de Harvard. Néanmoins, la machine était déjà baptisée Harvard Mark I.
L'ordinateur était énorme, avec près de dix-sept mètres de long pour une hauteur de deux mètres cinquante, et contenant plus d'un millions de pièces différentes. La machine sera exploitée par la Marine, avec des soldats aux commandes, ce qui lui ajoutait une touche très particulière, puisque ces derniers se mettaient au garde à vous pour se saluer à chaque fois qu'ils se croisaient.

Mais le Mark I eu tout de même un succès étonnant auprès du grand public : les journaux n'avaient de cesse de montrer des plans, des photos et des explications sur cette machine, au design si beau, fait de verre et d'acier, comme l'avait voulu Watson. Mais ce dernier ne désira pas d'avantage s'investir dans ce credo. L'essai était marqué, il n'était donc pas nécessaire de continuer de courir. IBM avait donc une image de premier fabriquant d'ordinateur un peu malgré elle. Résonnant en commercial qu'il était intrinsèquement, il continua de mettre l'accent sur les calculatrices. On peut aussi soupçonner le fait que personne ne pouvait rivaliser avec IBM, même si leur machine était très peu rapide. IBM posait là son système de fonctionnement : sortir les machines les plus puissantes, mais, même si d'autres plus puissantes sont déjà disponibles en laboratoire, ne rien sortir tant qu'un concurrent ne l'aura pas fait, pour mieux l'écraser dès la sortie de sa machine.
Néanmoins, Remington Rand continuait sur sa lancée, tâchant de prendre quelques part du gâteau qu'IBM s'apprêtait à engloutir.
Eckert et Mauchly, alors responsables de la filiale informatique de la firme, améliorèrent l'ENIAC, qu'il baptisèrent UNIVAC. Ils réussirent à le vendre au bureau de recensement américain - les recensements étant les premiers consommateurs de ce genre de matériel. Remington Rand prendra quelques longueurs d'avance lors de l'élection présidentielle lorsque la chaîne de télévision CBS annonça à l'avance la victoire d'Eseinhower sur Adlaï Stevenson à partir des premiers résultats dépouillés sur la côte Est. Ceci préfigurait la course aux sondages que l'on connaît maintenant, mais prouvait la supériorité de ce genre de matériel, l'UNIVAC - ayant permi cette avance - en tête. Plus tard, une autre évolution, nommée MANIAC, fut commandé par la commission à l'énergie atomique de Los Alamos afin de travailler sur des équations mono-nucléaires.
Le marché commençait à naître, et lorsque General Electric fit l'acquisition d'un UNIVAC uniquement pour ses opérations de gestion, les analystes s'aperçurent qu'un nouveau type de marché commençait à voir le jour. Par exemple, l'expert britannique B.V. Bowden écrivait en 1953 : Il serait intéressant d'observer si ces machines joueront au cours de la prochaine décennie le rôle qui fut celui des cyclotrons et des générateurs à haut voltage au cours des années 30. A cette époque, chaque université d'importance se devait d'avoir un cyclotron sur son campus. Il étaient mystérieux et chers, mais ils en imposaient. On parle beaucoup de l'utilisation des ordinateurs dans les projets de recherche à venir. Ils ne sont pas aussi coûteux que les cyclotrons et ils ont l'avantage d'être encore plus incompréhensibles. Peut-être joueront-ils très bientôt un rôle essentiel au sein des grandes firmes.
Il était donc temps pour Watson de réagir, car à ne pas vouloir croire en ces machine en terme commercial fut une énorme erreur, et IBM se lança réellement dans l'aventure presque trop tard, Remington Rand ayant imposé sa patte. Thomas Watson commençait à sentir le poid des âges, et peu à peu son fils, Tom, prenait les rênes. Il les prendra définitivement, et officieusement - l'image du père étant beaucoup trop importante et déifiée pour qu'une annonce officielle ne vienne tout briser - lors de la guerre de Corée. En effet, Watson père envoya un télégramme au président Truman, lui demandant ce qu'il pouvait faire pour aider le gouvernement dans cette guerre. C'est Tom Watson Jr qui se chargea de visiter les usines pour faire un rapport sur ce qui devait être fait, et le résultat était là : les usines avaient besoin d'ordinateurs pour fonctionner mieux. Si c'est nécessaire, construisez-les !
Le changement de président marqua aussi un changement d'orientation, IBM, ce mastodonte dont les bénéfices atteignaient les 333 millions de dollars en 1952 grâce au commerce des machines à calculer, doublera son chiffre en moins de trois ans en se lançant dans le monde de l'informatique.
Watson Jr pariait sur le fait que ce ne seraient plus seulement les laboratoires et les administrations qui auraient besoin d'ordinateurs, mais les usines, pour piloter leurs chaînes, ou tous autres systèmes d'automatisation, car c'était bien ce en quoi croyait Watson : l'automatisation. Il s'entoura de spécialistes, fit des partenariats avec des universités, afin de savoir dans quel domaine commencer, et où orienter ses recherches.

IBM sort le 701 en 1951. L'ordinateur est destiné aux laboratoires et aux usines, et non aux bureaux. L'ordinateur était lent, et beaucoup moins puissant que l'UNIVAC. De son côté Remington Rand s'apprêtait à sortir une version améliorée de son UNIVAC, orienté pour le travail en bureaux. Comme on pouvait s'y attendre, le 701 est un échec commercial retentissant, car déjà dépassé. IBM est très en retard par rapport à son concurrent, et doit, pour la première fois de son existence, lourdement s'endetter pour revenir sur le devant de la scène qu'il avaient pourtant eu l'opportunité de combler quelques années auparavant.
Watson senior a confiance en son fils (qui a officiellement pris les rênes du pouvoir depuis 1952) ce qui n'est pas le cas des boursiers et autres spécialistes, qui voient le paris d'IBM quasiment insurmontable.
Mais Watson Jr mettra en place une politique d'une rigueur sans faille. Premièrement, le 702 - un 701 plus commercial et recarrossé - sort très rapidement, mené par une équipe tandis qu'une autre travaille déjà sur une autre évolution du produit.
Parallèlement, Watson fait un paris commercial risqué : vendre de nombreuses machines à des prix cassés, qui endetteraient IBM dans un premier temps, mais qui lui permettrait de récupérer des clients de chez Remington, qui resteraient donc avec du matériel IBM et qui achèteraient leur nouveau chez eux. Watson proposa donc dès 1954 des commandes pour le 702 alors que la machine n'était pas encore sur le marché. La machine fit parler d'elle, ce qui augmenta un peu la cote d'IBM auprès du grand public. Presque en même temps, les commandes concernant les deux prochains modèles pouvaient être déjà passées. Ces commandes concernaient le 704, qui remplaçait le 701 en corrigeant tous ses défauts, et le 705 qui était le haut de la gamme en proposant les dernières améliorations de l'informatique, tant du 702 que de l'UNIVAC, et apportant quelques trucs en plus issus de brevets rachetés ici et là et d'inventions faites en interne.
Dès 1955, le nombre d'ordinateurs IBM commençait à dépasser le nombre d'ordinateurs Remington Rand installés dans le monde. Le paris de Watson avait été relevé : IBM avait réussi, malgré de grosses dettes, à s'imposer sur le marché, avant que de grosses firmes comme General Electric - cinq fois le chiffre d'affaire d'IBM - n'aient l'idée de lancer leur propre ordinateur.

Mais IBM n'était pas à l'abri des erreurs, et en commis une grosse en menant à bien le projet STRETCH : un ordinateur cent fois plus puissant que le 704. Le problème était que ce matériel n'avait aucun débouché commercial. Le commissariat à l'énergie atomique avait vaguement promis de l'acheter, mais c'était tout. De plus la machine était déjà dépassée lors de sa sortie (déjà à cette époque !), et elle se révélait très difficile, voir presque impossible, à utiliser. Le tout à un prix de 13,5 millions de dollars, on comprend pourquoi ce fut un flop. Un flop qui coûta tout de même la bagatelle de vingt millions de dollars à IBM ! Watson avait retenu la leçon : dorénavant, il faudrait plus travailler et étudier les futurs projets.
Mais ce bond en avant dans la technique marquait le bout de l'informatique de l'époque : sans une nouvelle invention, il serait impossible d'aller plus loin. La solution se présenta toute seule, en 1956 - quelques mois après la mort du père Watson - avec l'invention du transistor par William Shockley, qui reçu d'ailleurs le prix Nobel de physique pour son invention révolutionnaire. Il faut tout de même savoir que son invention remontait déjà à huit ans... En effet, le 1er juillet 1948, on pouvait lire dans un petit filet de la rubrique radio du New York Times : Une invention appelée transistor, qui a plusieurs usages en radio où un tube sous vide est habituellement employé, a été présentée pour la première fois au siège des laboratoires Bell Telephone où elle a été découverte. Le transistor, placé dans un récepteur radio qui ne contenait aucun des tubes utilisés d'ordinaire, a été utilisé comme amplificateur. Mais ses inventeurs assurent qu'il peut aussi être employé comme un oscillateur qui créerait et émettrait des ondes radio. Le transistor, dont l'action est quasi instantanée, ne contient aucun élément sous vide ou en verre et se présente sous la forme d'un petit cylindre de métal d'un demi-pouce de longueur.
Il apportait tout ce qu'il manquait : la rapidité accrue, et surtout, la miniaturisation.
Tout comme l'ENIAC, le transistor doit sa naissance à l'effort de guerre, durant laquelle les fonds étaient beaucoup plus importants qu'en temps de paix pour ce qui concernait la recherche. Mais une fois la guerre terminée, le Pentagone passait encore commande, car, comme les scientifiques de l'époque se plaisaient à le dire : si la bombe atomique avait permis de finir la guerre, le radar avait permis de la gagner. Un gros travail sur les radars avait donc été effectué en 1940 et 1944. Ces travaux ont permis de mettre à jour l'existence d'éléments étrangers, baptisés semi-conducteurs parcequ'il transmettaient l'électricité à la différence d'un isolant comme le verre, mais moins aisément qu'un conducteur comme le cuivre. Les formes cristallines et relativement pures de ces substances, tel le germanium et le silicium, offraient de grandes possibilités pour la détection de signaux radar. L'efficacité de ces corps solides devait permettre de les substituer très vite aux tubes sous vide plus fragiles et moins sûrs.
C'est en 1945 que les laboratoires Bell tournèrent une partie de leurs recherches sur cet état de fait. Trois hommes se sont principalement penchés sur le problème : John Bardeen, le théoricien, Walter Brattain, l'expérimentateur et William Shockley, le responsable du groupe. Le 23 décembre 1947, Brattain et Bardeen démontraient le transfert de résistance, et ainsi l'invention du transistor, mais sans Shockley !
Dès cette invention, la direction de Bell classa le dossier top secret, les retombées pouvant être énormes. Il fallait donc trouver une utilité immédiatement commercialisable à cette invention. Shockley était blessé dans son ego, il avait travaillé sur le projet, mais ne l'avait pas mené à bien : le brevet ne portait pas son nom mais celui de ses deux compagnons. Néanmoins, cette trouvaille étant alors trop expérimentale pour être exploitée, il se mit en tête de fabriquer un transistor d'une meilleure manière, et y réussi en 1950, avec un modèle en germanium, qu'il nomma PMP Jonction. Plus solide et rapide que la première version, cela allait donner lieu à un beau succès commercial. Mais ATT - Americain Telegraph and Telephone, propriétaire de Bell et société énorme - avait des problèmes avec le gouvernement américain et sa loi anti-trust. Elle proposa donc un marché : pour prouver sa bonne foi, elle offrait, contre une somme modique de 25 000 dollars, les brevets du transistor à la première firme qui en ferait la demande. L'argument d'un Golliath écrasant un David sans défense se révélait donc difficile à soutenir quand, après une année d'expérience, on constata que vingt-six firmes américaines et dix sociétés étrangères fabriquaient des transistors sous licence Bell.

Le transistor permis donc de réduire considérablement et la taille et la consommation de ces dinosaures parvenus à essoufflement. Ainsi, on passait de la taille d'un terrain de basket à celui d'une salle de taille beaucoup plus modeste. Et le transistor étant, lui aussi, miniaturisé peu à peu, passant de la taille d'un cube d'un centimètre d'arrête à la taille de la tête d'une épingle, on voit que le monde de l'informatique prenait son essor.
La Silicon Valley commençait à voir le jour, et des firmes comme Hewlett Packard commençaient à s'installer, au côté d'autres géantes comme IBM ou General Electric.
La légende pouvait commencer à s'écrire... et à corriger les erreur passées, quand la justice donnera Atanasoff comme père véritable de l'ENIAC en 1974. Mais cela ne lui fut pas d'un grand salut. Le pauvre homme mourut l'année suivante, retrouvé mort dans son lit, la tête recouverte d'un sac en plastic. L'enquête conclu au suicide.

Source : La Puce et les Géants, Eric Laurent, 1983.