Thierry et Rodophe se souviennent du temps où ils développaient sur Falcon et Jaguar. De la débâcle d'Atari.

Voici donc quelques morceaux choisis en provenance d'un newsgroup Atari...
C'est un peu jeté en vrac, mais je vous laisse goûter avec délisse ces anecdotes vraiment sympathiques.

Séquence souvenir, anecdote de Thierry Schembri:
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Il faut dire que si le kit de développement Falcon était une grosse plaisanterie, celui de la Jaguar ne l'était pas moins.

Avant d'en parler, je ne peux m'empêcher de raconter une nouvelle anecdote au sujet de l'attribution des "licences développeurs" du Falcon. Atari France, pour une raison que je n'arrive toujours pas à expliquer (peut être la pénurie de machines), avait décidé, avant le lancement du Falcon pour le grand public, que ne serait pas développeur Falcon qui veut. En d'autres termes, il fallait, pour obtenir le superbe kit décrit par MetalSeb, présenter un projet qui mette en valeur les capacités du Falcon, si celles-ci ne plaisaient pas à Atari (en l'occurrence a Loic Duval & JM Cocheteaux), le malheureux développeur aurait le droit de continuer de développer sur son ST.

N'étant pas encore dans la confidence du petit monde Atari à l'époque, j'avais, sans réponse, déposé un dossier chez Atari France pour obtenir un falcon en avant première avec son précieux kit de développement. Je ne voulais pas m'avouer vaincu, et une connaissance ayant réussi à se faire agréer développeur (en fait, il voulait juste une bécane en avant première, mais avait envoyé une demande avec le papier à en-tête de sa société, Thomson, ce qui, comme par hasard, lui avait ouvert certaines portes...), je vais chez Atari France avec lui.
Manque de chance, c'était les vacances de Noël, personne n'était là, une secrétaire nous reçoit. On lui présente le courrier d'Atari France comme quoi mon camarade était développeur, elle hésite "je ne peux rien faire, il n'y a personne" "on vient de loin exprès", "bon, d'accord", elle revient avec le Falcon et son SDK. Alors je tente "quoi ? il y a erreur, on devait en avoir deux", "ah bon ?", et aussitôt, elle revient avec une deuxième bécane) Je rassure tout le monde, il a fallu les payer, et fort cher de surcroît , car la misérable doc n'était pas donnée ! Tout ça pour dire que chez Atari France, pour changer, on était d'une extrême rigueur !

Plus tard, chez Retour2048, après avoir vu le prototype de la Jaguar en avant première, nous avons tout fait pour nous faire agréer développeur et obtenir un kit de développement Jaguar. Après moult parlementations et dossiers en tous genres, nous avons enfin obtenu l'objet tant convoité. Nous avons ainsi été les premiers en Europe à avoir une Jaguar à la maison, elle n'avait pas encore sa carcasse et son joypad définitifs et il y avait encore pas mal de straps sur la carte mère. Paradoxalement, cette machine de pré-série de révélera être beaucoup plus fiable que celle qu'on nous a donné en remplacement quelques mois plus tard. Le kit de développement nous avait coûté 50000 francs. Il comprenait une Jaguar (sur laquelle Rodolphe installa un "Bi-TOS" , une alpine board (carte d'émulation de cartouche relié a un ordinateur par le port parallèle) et ... le kit de développement.

Ceux qui ont déjà vu le kit de développement pour Saturn et Playstation, sortis peu de temps après, peuvent oublier ce qu'ils croient être un kit de développement. Le SDK Atari comportait un classeur de 50 pages et ... une disquette. Atari avait bien bossé là dessus, ça se voyait : le kit logiciel tournait sur Atari ST et comportait : un assembleur en ligne de commande : MadMac, un linker en ligne de commande : ALN, un débugger 68000 ADB (je crois) et un débugger GPU (GDB), les deux en ligne de commande aussi.
Evidemment, la ligne de commande avec le gem, c'est pas top, ils avaient donc généreusement mis sur la disquette : command.prg, un interpréteur de commandes, on n'aurait pas été en noir sur fond blanc, on se serait cru sur un PC de 1981.
Le nom MadMac dit peut être quelque chose à certains ici, il s'agissait d'un assembleur fait par Atari pour le kit de développement du 800xl & consorts.
D'ailleurs, il suffisait de taper au milieu du source .6502 et hop, on pouvait faire de l'assembleur 6502, les amateurs d'apple II apprécieront.
L'assembleur était rudimentaire, inutilisable, on l'a rapidement remplacé par Devpac en bricolant un peu le linker. Le debugger était magnifique, tout en mode texte en ligne de commande, il perdait à tout bout de champ le contrôle du GPU et nous répondait alors qu'on lui demandait d'afficher le contenu des registres : "Did the GPU died ?" . Drôle au début, moins après...
Quelques exemples sur papier, comme la gestion de la liste d'objets du processeur objet, made in Atari, bouffait environ 40% de la vbl (rien que pour générer la liste !!), refaite en GPU, comme par magie, plus que a peine une ligne...
Les performances annoncées de la machine n'étaient pas au rendez-vous, les benches donnés à la presse qui sortaient des résultats invraisemblables étaient du pipeau (en fait , vrais, mais ne correspondaient a rien d'utilisables, exemple : un nombre de pixels affichés par secondes impressionnant, et pour cause : en 2 bit et en prenant toute la bande passante ! , des résolutions graphiques impossibles à afficher car effectivement la Jaguar pouvait l'afficher, sauf que 2 Mo de RAM ne suffisait pas pour le faire, des capacités sonores présentées comme extraordinaires, alors qu'en fait, contrairement aux autres consoles où on avait x voies sonores indépendantes, là on n'avait que deux voies (stéréo quoi), tout le mixage et la génération des hauteurs des sons étaient fait à la main, comme un soundtrack sur Atari STf), le pire de tout était le problème de bande passante, tous les cpu étaient connectés sur le même bus (lent) et il fallait partager les temps d'accès avec des ruses et des bidouilles. Bref, je ne reviendrai pas sur les erreurs de conceptions de la Jaguar, je serais trop long, je préfère me souvenir du reste .

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Remarque de Rodolphe:
Oui et le son était fait au DSP et le pauvre devait aussi gérer le fameux réseau qui d'ailleurs était buggué au niveau de la FIFO HARD de la puce obligeant à capturer chaque octet sous peine de le perdre !
Bref le fameux réseau n'a jamais pu servir vraiment bien avec ce bug hard !
Et y a pas eu de redesign de la puce buguée !
D'ailleurs, idem pour le GPU qui avait certaines instructions qui passaient pas ! Il fallait les eviter avec d'autres instructions... [...] Un peu comme les pays de l'URSS qui récupéraient dans les années 80 des CPU buggués de l'occident et arrivaient à éviter le bugs pour faire tourner des prog dessus !
Bref, fallait être très fort et rusé..
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Thierry:

Après avoir fait quelques petits programmes pour comprendre comment l'engin fonctionnait, on a voulu passer aux choses sérieuses, et là, on a commencé à ramer grave. Nous étions les seuls développeurs en France, personne ne connaissait la machine, chez Atari France, le silence total... Je me souviens avoir passé des nuits entières à essayer d'afficher un truc sans comprendre pourquoi ça ne marchait pas, rien dans les quelques feuilles de la doc. Une nuit, avec Didier (le fameux Checksum du groupe Equinox, qui avait réalisé le premier éditeur de soundtrack sur Atari ST), on essayait de faire sortir un son de la bête. Les deux lignes de la doc ne nous étaient d'aucune utilité, et personne chez Atari France ne pouvait nous renseigner.
Fort heureusement, nous avions récupéré un courrier avec des tas de n° de fax chez Atari Corp, aux USA. Nous avons fait un courrier intitulé "poor Jaguar developers in dire straits" et nous demandions de l'aide pour sortir un bip de la machine, nous l'avons ensuite faxé à tous les n° qu'on pouvait trouver. Quelques heures plus tard, un certain Leonard Tramiel nous a répondu en nous donnant le renseignement (qu'il avait du obtenir auprès de quelqu'un d'autre, car le même Léonard nous a promis une doc complète sur le son pour la Jaguar, doc qu'il était en train de réaliser, je l'attends toujours...).

La galère a ainsi continué quelques mois jusqu'à ce que Atari, enfin conscient (que leur arrivait-il ?) qu'ils ne s'en sortiraient pas avec le kit de développement, ont confié à Brainstorm le soin de le compléter. De le refaire en fait. J'avoue que Brainstorm a fait du beau boulot à partir de ce moment là. Ils ont jeté les merdes de chez Atari et ont passé le kit de développement sur PC. Refait un véritable assembleur multi processeur avec des tas de directives de compilation, un vrai debugger qui fonctionnait (même si ce n'était pas facile de débugger les cpu RISC vu qu'on ne pouvait pas mettre de point d'arrêt sur ces cpu, j'avais donc du faire une bidouille, en fait une macro qui bouclait en 68000 et qui scannait une adresse mémoire, et quand je voulait mettre un point d'arret sur le GPU ou le DSP, une autre macro mettait une valeur a cette adresse, la lecture de cette adresse par le 68000 déclanchait alors un illegal, ce qui stoppait tout le bazar... simple non ?), ils ont même adapté GCC pour qu'il sorte du code GPU (ce qui était quand même balaise vu qu'il fallait penser en parallèle quand on programmait cet engin : il décodait et exécutait deux instructions en même temps, si bien qu'on pouvait très bien avoir ce type de code :
JP toto
MOVE r1,r10
et le move était exécuté, je vous laisse penser à ce que ce genre de code donne :
MOVE r1,r2
MOVE r2,r3
rien ne dit que r3 va contenir r1 (en fait, il y a peu de chance que r3 contienne r1), ça dépendra de où il en est dans son décodage quand il exécutera l'autre ligne. Si bien qu'en gros, il fallait quasiment entrelacer deux programmes en un si on ne voulait pas perdre en performance en faisant, comme beaucoup faisaient :
MOVE r1,r2
NOP
MOVE r2,r3
NOP
Question de philosophie... Mais c'est sur qu'au début on se demande pourquoi ça marche pas )

Malgré le boulot de Brainstorm, il était trop tard, ils faisaient un boulot qui aurait du être fait bien avant, avant de distribuer quoi que ce soit, car quand Brainstorm a repris le bébé en main, beaucoup de monde avait reçu le kit Jaguar, et beaucoup de monde l'a rapidement rangé dans un placard en se disant "mais qu'est ce que c'est que cette merde ??", c'est ainsi que des grosses boites de jeux vidéo n'ont pas voulu perdre de temps avec cette machine, les seuls acharnés étaient souvent des petits studios de développement, se disant, à tort, qu'ils avaient le marché pour eux et qu'ils allaient pouvoir se faire une place au soleil avec cette machine...
Erreur....

Trop tard, Atari n'a pas compris qu'on ne réalise pas un kit de développement PENDANT le développement de jeux sur la machine. Brainstorm sortait une nouvelle version des compilateurs presque tous les jours pour corriger des bugs... Il m'est arrivé de rester bloqué sur un bug qui en fait était un problème de compilation, le compilateur gênerait une merde, allez trouver ça... A la fin, on ne savait plus : est ce que c'était de notre faute ? un bug du compilateur ? un bug des CPU (car il y en avait : sauts en RAM centrale aléatoires, certaines instructions buggées, impossibilité d'exécuter du code en RAM centrale, etc...) ? Stressant... On ne s'étonnera pas que beaucoup aient baissé les bras.

Tout ça n'est cependant que rigolade, car un jour Atari s'est rendu compte qu'il y avait de la concurrence sur le marché des consoles. C'est sur, ils n'allaient pas gagner la partie si des rigolos comme Sega et Sony continuaient de vendre leurs machines, il fallait faire quelque chose ! Et là, on voit que chez Atari, il y a des stratèges en marketing et en affaire.
La réponse d'Atari a été nette : 1) stopper le développement de jeux 2D, 2) mettre la pression sur les jeux 3D 3) Ajouter un CDROM a l'engin 4) Lancer la Jaguar II. 4 décisions, 4 erreurs : Atari a ainsi stoppé le développement de jeux 2D comme le shoot'em up que réalisait Shen, je l'avait vu, j'y avait joué, il était extraordinairement bien fait et surpassait bien de ce qui se faisait à l'époque... Elle a mis la pression pour réaliser des jeux 3D plus ou moins merdiques comme Fight For Life, car, dixit un des gars d'Atari Corp "il faut qu'on fasse de la 3D pour concurrencer la playstation", or la Jaguar était une super machine pour la 2D, elle éclatait la neo geo, elle aurait pu avoir sa carrière, au lieu d'essayer de faire de la 3d avec son pauvre blitter, qu'espéraient-ils vraiment ? le gamin qui voit d'un coté fight for life et de l'autre cote Toshinden, vous croyez qu'il va demander au père noël une Jaguar. .. L'adjonction du CD a été une vaste plaisanterie, j'y reviens juste après, quant à la Jag II, sans argent pour la développer, c'était courir à l'échec.
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Rodolphe:
Je précise, c'est la boite monté par les gars de BURN OUT que VX a signé
avec la CORP ! 1 MF dont 50% pour chacun...(VX et SHEN), comme quoi on pouvait gagner des sous avec la jag
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Thierry:

Le CD Jaguar a été la plus grandiose des idées. Atari n'avait déjà plus un radis quand ils ont pris cette décision, on s'en est vite rendu compte. Le Jaguar CD était un cd audio relié au bus de la jaguar point final. Ils se ventaient de mettre 700 Mo ou plus je ne sais plus sur leur disque, et pour
cause, il n'était pas au format ISO9660 mais c'était un bête CD audio. Le kit de développement JagCD était le summum de l'aboutissement, je pensais avoir tout vu avec leur précédent SDK, c'était mésestimer leurs capacités.
Je m'occupais à l'époque de la conversion d'un jeu PC sur Jaguar, Commander Blood, la suite de l'arche du capitaine Blood, le fameux jeu sur ST. Quand j'ai vu le SDK du JagCD, je me suis dit qu'il n'allait pas y avoir beaucoup de jeux qui sortiraient sur cette plate forme ! Il fallait pour développer sur Jaguar CD : un PC, une jaguar, une alpine board, un macintosh, un disque dur scsi externe et un falcon (tiens ? pas de raton laveur), une fois tout ce bazar sur son bureau, on a l'impression d'être au commande d'un airbus.
La Jaguar était rebricolée, un câble s'en échappait. Alors de mémoire, ce câble allait dans le port cartouche du falcon qui était relié au disque externe scsi. Un autre câble sortait du boîtier scsi et allait sur le pc sur lequel un câble parallèle était branché et retournait sur l'alpine board branchée sur la jaguar. aaaaahhh ! Le macintosh servait a générer les séquences cinepak.

Pour impressionner la foule, il fallait des démos qui pètent sur Jaguar CD, on avait donc un cd avec un extrait de la guerre des étoiles en cinepak.
Bien, inutile mais bien. Cinepak était un codec video développé par une boite externe. Il tournait notamment sur Saturn et PC, Atari avait acheté une licence super chère pour la Jag. Bonne idée, sauf que la librairie cinepak bouffait prés de 800 Ko en mémoire et mobilisait a 100% le DSP (et toute la bande passante accessoirement). Quand on a que 2 Mo de RAM, on fait un essai, et on oublie bien vite cette plaisanterie pour faire soi même son propre codec video, ce qu'on avait fait pour Commander Blood. Encore raté Atari ((

Le Falcon servait donc d'"émulateur de cdrom" pour la jaguar, il va sans dire que ça ne fonctionnait qu'avec un type bien précis de disque dur scsi qui, bien évidemment, est tombé en panne rapidement. Bien entendu, le modèle n'était pas vendu en France, qu'a cela ne tienne, il a fallu attendre deux semaines qu'Atari Corp en renvoie un.

La documentation était pléthorique, comme d'habitude, 5 pages (qui ont été complétées plus tard) et roulez jeunesse !
Il faut dire qu'on avait pas besoin de beaucoup de documentation vu qu'en fait l'API (un bien grand mot) CDROM était constitué de deux ou trois fonctions : aller a une piste, se positionner sur le disque et lire. Ah les gars, ça change d'une gestion de fichier ! ça calme.
On voyait bien là le bricolage, c'était purement et simplement un cd audio ni plus ni moins avec un port io pour lire les octets renvoyées par la tête de lecture. Hop terminé.

Je devais convertir un jeu constitué d'environ 400 fichiers, il était hors de question de réécrire le jeu pour l'adapter aux caractéristiques ou aux absences de caractéristiques de la Jaguar (d'autant plus que le jeu était un pavé de 200 pages en assembleur 386). J'ai donc demandé au responsable du développement Jaguar chez Atari Corp, Normen Kowalevski, un garçon bien sympathique, a qui ont avait refilé un beau bâton merdeux, (et qui, pour la petite histoire, finira chez Sony), je lui avait donc demandé comment on faisait pour gérer des fichiers sur la Jag CD. Messieurs, dames qui développez, accrochez vous :
1) Savoir ou se trouve en heure : minutes : secondes le fichier sur le cd
2) positionner la tête dessus
3) lire le nombre d'octets voulus
Simple ? euh non, si on suit ce raisonnement, ça marche pas, la tête du lecteur est imprécise, on rate a coup sur le début et la fin du fichier.
Mince, solution ?
1) encadrer son fichier d'une pattern très identifiable
2) se positionner "un peu" avant la position voulue
3) lire un peu plus que prévu
4) rechercher dans le buffer lu le début et la fin de son fichier au milieu du garbage
Wow ! cool ! mais euh ça marche toujours pas ? non ? si, ah excusez nous, on a oublié de mettre un système de crc hardware pour la lecture, en fait il y en a un, mais ça marche pas toujours. Mince. Solution ?
1) Faire un checksum de son fichier
2) Ajouter le checksum en fin
3) Tant que checksum pas bon, recommencer l'opération décrite précédemment.
Ah si il y a une erreur dans la lecture du checksum ? oh la, vous en
demandez beaucoup...

On a ainsi rigolé un certain temps avec nos hh:mm:ss en priant le ciel qu'on ait pas a mettre un fichier plus gros que prévu qui décalerait tout et qui nous obligerait a recalculer toute la table, évidemment ça s'est produit, une fois, deux fois, trois fois, et on a décidé qu'il y en avait marre. On a donc commencé à écrire un mini OS pour la Jaguar : une API pour le son, une pour les interruptions, le cpu objet, et surtout, un système de fichiers avec FAT et tout le toutim. En fait, on faisait le boulot qu'Atari aurait du faire depuis longtemps...

On se disait qu'Atari apprécierait le boulot, d'autant plus qu'on pensait mettre cette API a disposition de tous les développeurs. Que croyez vous qu'Atari a répondu ?? On s'est fait engueulé par Atari Corp !!! Véridique, ils nous on dit en substance que ce n'était pas notre boulot de faire ça (qui alors ?) et qu'à cause de notre perte de temps sur quelque chose qui n'était pas indispensable (voire du luxe), Commander Blood aurait du retard, et c'était inadmissible. Ca l'a été effectivement, car Atari a mis la clef sous la porte et stoppé la Jaguar avant que CB soit sorti !

Allez une dernière anecdote avant de finir, Atari organisait de temps a autre des réunions internationales pour les développeurs Jaguar. Je m'étais rendu à l'une d'entre elles (avec entre autre Rodolphe) à Londres. Là, les développeurs, assis dans une salle de réunion, posaient des questions aux responsables du dev venant des USA. Un gars pose une question pointue sur le blitter. Silence, concertation, un des gars de chez Atari prend la parole et commence une explication embrouillée, bafouille, même moi, qui était loin de maîtriser le blitter de la Jag, je me rendais compte qu'il racontait des conneries. Au milieu d'une phrase, il s'arrête, et cherche.
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Rodolphe:
OUI ! le gars était Bill Rebok (je suis pas sur de l'orthographe), responsable ATARI USA et développeur US je croix..
Un des pontes de la corp...
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Thierry:
A ce moment là, Jeff Minter (l'auteur de Tempest, vêtu de son inséparable pull a tête de lama) se lève, va sur l'estrade et "pousse" gentiment le gars de chez Atari et recommence l'explication, claire et répond à la question posée. Chez Atari, on avait l'air con quand Minter a été applaudi à la fin de son explication... Ca donne un peu une idée de leur compétence...
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Rodolphe:
Oui, on était une 100aine dans la salle et il y avait pas mal de nouveaux qui venaient de signer sur la jag (allemands et anglais), suite à un salon les jours précédents à Londres (lequel ? c'était en Avril).
Sur la 100aine, on était les seuls français avec 2 gars de Ubi soft qui étaient paumés au niveau jag... On a bouffé avec eux à table (bouffe pas terrible et on avait encore faim) : hôtel 5 étoiles genre 3 conneries dans l'assiette, ça ne nourrit pas ça ! au bord de la piscine interne avec toit ouvrant...ahah atari savait en foutre plein les yeux (le coup de star wars sur CD en cinepak est du même genre !).
Je me souviens que Jeff a été acclamé quand il s'est levé pour aller prendre le micro, une vrai star ce mec !! C'était impressionnant !! Vraiment !
Au premier rang, il y avait les gars de Alien Vs Predator aussi...
Le lecteur CD jag était plugué sans son habillage plastique, sur la jag...
Je précise que c'était une réunion confidentielle, mais tout était confidentiel chez atari, surtout les infos, comme si on était des journalistes dans une société secrète..
Quand j'y pense, ils ont eu du bol de réussir avec le ST. De nos jours des
rigolos comme ça n'ont aucune chance... Ce qui est drôle c'est le parallèle à faire entre la Corp et tous ces revendeurs pourris qu'on a eu en France qui ne valaient pas mieux : des rigolos aussi !

Allez puisque cela vous plait, encore une anecdote de Thierry Schembri
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En dépit des efforts que faisaient les gérants de Retour2048, la boite ne coulait pas. Atari France s'est donc chargé de lui donner le coup de grâce ! Je ne me souviens plus des dates exactes, mais un jour, longtemps avant la sortie officielle de la Jaguar, je me rend avec Rodolphe chez Atari France. Là, on nous fait pénétrer dans un hangar, et sur une table, juste à coté d'un système de développement Lynx (un Amiga 2000 dont les gars chez Atari avait ôté le logo pour le remplacer par "Lynx Development System", on savait rire chez Atari), se trouvait un prototype de Jaguar (tu t'en souviens Rodolphe ?).
On devait être rudement fanatiques Atari à l'époque, car le gars de chez Atari nous montre deux ou trois démos (genre trois gros sprites qui bougent) et on a été scié (faut dire qu'on était pas habitué à voir une machine estampillée Atari pouvoir bouger d'aussi gros sprites en même temps). On était surs que cette machine allait tuer tout ce qui existait (ce qui n'était pas dur vu qu'a l'époque, il n'y avait que la megadrive, la supernintendo et la neo geo). De retour à Retour2048, on raconte notre visite. Les gérants sont décidés : la Jaguar est l'avenir (des visionnaires). Après moult négociations avec Atari France, ils obtiennent donc quelques temps plus tard une bécane quasi finie. Atari France leur promet que toutes les Jaguar arrivant en France seront distribuées en priorité à Retour, et que de toute façon, pas la peine de s'inquiéter, ce sera dans quinze jours.
Forts de cette assurance, nos compères louent des stands dans les salons de jeux video et de micro informatique, trimballent leur Jaguar, leur grand écran, leur cybermorph et leur super-jeu-de-la-mort-qui-tue-la-vie : Trevor Mc Fur in the crescent Galaxy. Je les accompagne une fois à un salon, les gars de chez Nintendo tirent la gueule grave, croyez moi ou non, mais ils ont peur de la Jaguar, ils viennent sur le stand, jouent a Cybermorph et ne rigolaient pas trop. Je me souviens de l'un d'entre eux dire à l'autre "64 bit, elle est, nous on est 16bit, comment tu veux lutter ?" (aaah, si ils savaient qui étaient aux commandes, ils se seraient moins inquiétés). Non content de faire la présentation tout azimut de la bécane, Retour achète des pleines pages en quadri dans les canards de jeux video et fait des pre-reservation, je crois qu'alors on était a plus de 250 000 francs de pubs ! Atari France (comme Atari monde d'ailleurs), fauché comme les blés, avec plus que 3 personnes alors que du temps de leur splendeur ils étaient plusieurs dizaines, est tout heureux d'avoir trouvé ce pigeon qui communique à sa place.
Sauf que la semaine passe, puis le mois, puis plusieurs, et toujours pas de Jaguar, ou alors si 200 pour calmer le jeu, une goutte d'eau comparée aux commandes, les clients s'impatientent, annulent leurs commandes. Entre temps, certain qu'Atari France allait tenir ses promesses, Retour2048 ouvre un deuxième magasin place de la république à paris pour vendre uniquement la bête et la Lynx, fait fabriquer et distribue des t-shirts aux logos Lynx et Jaguar, nouveaux frais et toujours rien.
Comment cela s'est-il terminé ? les consoles sont finalement arrivées en France trop tard, avec pas assez de jeux ou que des merdes. Retour2048 qui a du encaisser, en plus des errements de la direction, ce revers financier s'est retrouvée exsangue, le coup de grâce. Le gérant écrit donc un courrier à Atari France pour se plaindre de leur façon d'agir. J'aurais du garder la lettre renvoyée par le directeur d'Atari de l'époque, le gars explique en substance que si Retour s'est vautré, c'est uniquement de leur faute, qu'ils n'avaient pas à investir tant dans la Jaguar, que de toute façon, Atari France ne leur avait rien demandé et qu'ils avaient décidé de leur propre chef de croire en ce produit ! En soit, ce n'est pas faux, faire confiance à Atari était suicidaire, le propre responsable d'Atari le reconnaît, on appréciera quand même son fair-play.
Ca force le respect ! Peu de temps après Atari France fermera définitivement et la Jaguar connaîtra le sort que l'on sait...

Thierry :
Je ne sais pas si vous vous y connaissez en films X, mais il y a un réalisateur français qui est incontournable dans le milieu : John B. Root. Vous pouvez pas le rater, quand, dans une émission, il faut parler de X, c'est lui qu'on interviewe.
Toujours est-il que Virtual Xperience, ayant cruellement besoin de financement (un jour je raconterai pourquoi a édité, pour faire rentrer de l'argent rapidement dans les caisses un petit cdrom de cul (mais de cul gentil) [ndt: ne cherchez pas c'est pas sur jaguar hein] dont je ne me souviens plus du nom, video phone je crois, mais pas sur. Bref, c'était quelques séquences video quicktime dans un timbre poste avec une interface graphique autour, je ne me souviens plus trop du scénario (!), un gars qui appelait ses copines et qui tombait sur elles, oh quel curieux hasard, toujours au moment où elles allaient se livrer aux joies du plaisir charnel. Bref, l'auteur de ce chef d'oeuvre était John B.Root, alors inconnu au bataillon, qui avait commis ce CD sûrement avec des copines. Le truc était propre mais quelconque et s'est vendu comme des petits pains, tellement bien qu'il y a eu la suite, video phone II je crois, qui lui aussi a bien marché. Si bien d'ailleurs que le gars B.Root a laissé tomber les CDROM et le timbre poste pour passer a des choses plus sérieuses et devenir cinéaste.
Ironique finalement, si on y réflechit bien, Virtual Xperience, dont le but premier était le développement de jeux sur Jaguar, n'aura finalement servi qu'à permettre à un réalisateur de films X de percer )

Thierry encore mais à propos des revendeurs:
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Le gérant de Retour a décidé un jour de vendre des towers pour Falcon. Après en avoir acheté plusieurs pour PC, il a essayé avec quelques potes de faire rentrer la carte mère du Falcon a l'intérieur. Pour des raisons qui m'échappent encore, il n'y sont pas parvenu. Il a donc décidé de faire fabriquer lui-même des towers "sur mesure" pour le Falcon. Il va sans dire que faire des towers en plastique était exclus vu le coup (fabrication des moules, nécessité d'en fabriquer en très grande série, etc...).

Il s'est donc dit qu'il allait faire dans le simple avec du métal plié par presse. Pour réaliser cette opération, n'ayant ni les compétences ni les contacts dans la métallurgie , il s'est acoquiné avec un gars douteux dont je tais le nom ici. (Pour la petite histoire, le gars en question, plus ou moins propriétaire de boites en tous genres et de restos dans Paris à fini en cabane quelques années plus tard pour recel après avoir fait pillé par ses sbires un autre magasin Atari sur Paris et après avoir revendu le matos volé !).

Il fallait voir la fine équipe : le gérant tirant des plans sur la comète avec son tower qui allait se vendre comme des petits pains et son comparse qui venait le soir a la boutique dans sa grosse bagnole aux vitres fumées en compagnie de deux de ses "gardes du corps" lui expliquer l'avancée de la fabrication . Retour a investi je ne sais pas combien de fric dans cette affaire et on ne voyait toujours rien venir. Evidemment la pub avait déjà été passée et des clients avaient déjà commandé et payé, normal...

Un jour il se pointe avec le 1er exemplaire du tower : un parallélépipède de métal immonde, laid, dont les bord n'avaient pas été ébarbés, le fait de les ébarber rendaient tous les bords tranchants comme des rasoirs. Le tower était énorme et rien n'avait été prévu dedans pour la connectique, si mes souvenirs sont bons, le cul de la carte mère était a nu derrière et un tas de câbles ressortaient derrière pour rentrer dans le boîtier.

Bref, le machin était horrible, dangereux, inutilisable. En voyant ça, le gérant a commencé a s'embrouiller avec son compère et n'a pas voulu honorer la commande, je n'ai plus tous les détails de l'affaire, toujours est-il qu'après de multiples promesses d'améliorations du produit (qui n'ont jamais été faites), Retour a du payer (et cher) la fabrication de ces machins. On s'est retrouvé avec des piles de towers inutilisables. Ils ont essayé d'en monter quelques uns mais ça a tourné court. Quand Retour a été fermé (on se demande encore pourquoi ...), tout le bazar s'est retrouvé dans la cage d'escalier qui menait aux bureaux de VX, ça a traîné là un an ou deux et un matin tout s'est retrouvé dans une benne direction la ferraille.

Ah que de conneries ! et il y en a eu tellement d'autres ! (le pompon étant la période surréaliste de la Jaguar). Avoir vécu dans le petit monde d'Atari de l'époque laisse des souvenirs impérissables, entre les conneries à Retour, les délires chez Atari France, tout le monde qui planait chez Atari US (à commencer par Sam Tramiel qui se baladait dans sa chemise hawaïenne et qui avait l'air de se foutre de tout)... ah souvenirs... )

Thierry à propos d'une discussion entre Duval (monsieur atari dev fr), Thierry et Rodolphe... à la fin du salon Micro&Co de 92 (ou 91);
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Il nous avait notamment parlé d'un détail que je croyais être du pipeau à l'époque et qui s'est révélé vrai après plusieurs recoupements : les premières version de sparrow / fx1 étaient équipées d'un chip video beaucoup plus performant que la merde qui a fini sur les falcon, notamment un mode chunk en 256 couleurs, il était cependant trop incompatible avec les anciens modes video et surtout incompatible avec les habitudes atari (plans au lieu de chunk), il a donc été remplacé par un super mode 8 plans inutilisable.
Remarquez on s'en est bien tiré, on aurait aussi pu avoir un mode true color
en 16 plans ! Il nous avait aussi parlé du microbox qui devait etre full 32bit, enfin, il nous a parlé de tellement de trucs que bon... pour faire le tri

Cete fois ci c'est Rodolphe qui s'y colle:
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Tu te souviens de la 2 ième ou 3ième bouffe développeur ?
-- pour ceux qui ne connaissent pas (et ils sont sûrement nombreux), les bouffes développeurs étaient un petit truc sympa imaginé par JL et Loic (mais je dirais plus par JM qui aimait les bonnes choses comme regarder le tennis TV au bureau) pour que les développeurs se réunissent de temps en temps... Ah, une bonne idée dans le principe, sauf que si c'est destiné à remplacer une bonne réunion autour de la table (nécessaire) alors on était en droit d'en attendre un peu de travail, à table, mais ce ne fut guère le cas...

Par contre pour ce qui était de raconter des conneries et de se faire mousser, là pas de problème...
Donc à cette fameuse bouffe dans un restau chinois, si je me souviens bien, c'était assez nul, pas convivial car les gens regroupés par tables rondes de 5 personnes avec de tels espaces entre chaque tables que ça faisait autant de réunions développeurs qu'il y a avait de tables !
Et par chance (?), JM était à côté de notre table avec un sac de sport large et il nous a prétendu pendant tout le repas que c'était un Falcon 040 qui était dedans... Nous avons insisté pour le voir mais il n'a jamais voulu nous ouvrir le sac ! Alors que nous avions tous signé une NDA (Non Disclosure Agreement pour les neophites) (un mot un peu fort pour atari mais bon...)...

Le problème avec JM, c'est qu'il était tout le temps à vous parler avec un petit sourire qui vous laisse le choix entre penser qu'il se fout de votre gueule (sympa !) ou qu'il se fout de votre gueule et n'a rien à foutre de ce que vous pensez...
Franchement je ne crois pas que c'était un falcon 040 mais juste un de ces pauvre falcon rev4 qu'il récupérait d'un développeur à qui il avait du amener tardivement (on était en Aout 93 au mini !) un rev A...

Le première réunion développeurs, si je ne me trompe était dans la cave d'un restau/bistro et c'était bien plus sympa car il y avait une grande table en U. Mais c'était le bordel, ceci dit il y a eu des discussions intéressantes pour des développeurs...
Ce qui est bien, c'est qu'on ressortait de là motivé avec des nouvelles de la Corp et ses pipos, mais il ne fallait pas penser aux réponses à vos questions emmenées avec vous car là, un sentiment d'amertume se glissait en vous sur le trajet du retour...

Un grand merci à Thierry et Rodolphe pour cette mine d’or d’informations ! Et merci aussi à Romu pour avoir concocté ce Best Of !